samedi, août 26, 2006

Un peu de Grass pour Günter svp !

J’aimerai revenir sur un sujet qui a fait beaucoup de bruit ces derniers jours en Allemagne et ailleurs dans le monde : les aveux de Günter Grass sur son passé SS à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Pour ceux qui auraient manqué un chapitre, je rappelle que le Prix Nobel de littérature 1999 a confessé dans son autobiographie parue mercredi dernier, en avance de deux semaines sur la date prévue (justement en raison du scandale), qu’en plus de son enrôlement dans l’armée nazie en 1944 (fait déjà bien connu), le futur écrivain s’est volontairement engagé à 17 ans, en 1946, dans les tristement célèbres Waffen-SS les troupes d’élite combattantes du « Corps Noir » connues pour de nombreux massacres perpétrés notamment parmi les civils et qui semaient la terreur sur leur chemin…

Comment celui qui a incarné « la conscience de l’Allemagne » durant les cinquante dernières années a-t-il pu cacher ceci durant tout ce temps là ? Comment a-t-il pu jouer les moralisateurs en fustigeant le passé Nazi des autres sans faire son mea culpa ? Lui qui a obligé les allemands à se regarder dans le miroir de l’Histoire et à assumer leur culpabilité dans une sorte de catharsis collectif n’aurait-il pas du donner l’exemple en ayant le courage de mettre en avant son propre coté obscur ?… Des questions parmi tant d’autres qui ne cessent de pleuvoir sur la tête de l’auteur du Tambour venant de ses amis (de gauche) qui oscillent entre l’indulgence et l’incompréhension et ses détracteurs (de droite) qui le fusillent en ricanant, heureux d’endosser enfin le rôle de l’inquisiteur face à leur ancien bourreau !

Pour se justifier, Grass dit que "(son) moi d'alors ne (lui) est pas totalement étranger, mais égaré et distant, comme un parent lointain". Il ne cache pas son ‘’aveuglement’’ de jeune hitlérien ni le sentiment de honte qui l’a toujours obsédé et continue à le poursuivre. Je pense que très rares sont ceux qui peuvent se targuer d’avoir eu les mains toutes propres à cette époque là en Allemagne. On ne peut vraiment séparer le blanc du noir : tout le monde était plus ou moins gris !

Mais on l’aura compris, les critiques de tout bord ne reprochent pas tant son passé SS à Grass que ce mensonge par omission en décalage avec son attitude salvatrice durant ses longues années de combat contre l’oubli. Pourquoi maintenant ? comme titrait Pierre Assouline sur son blog. Je pense qu’en bon stratège Günter Grass n’a pas voulu révéler durant les premières années toute la vérité sur son passé Nazi en se gardant de mettre à jour son coté le plus sombre. En effet, qui aurait écouté à cette époque là un donneur de leçons lui même ancien SS ? Les blessures de la guerre étaient encore béantes et le risque de rejet était grand. Mais le temps passant Grass se trouvait sûrement pris à son propre piège : plus il prenait du volume, plus sa voix portait et était entendue… et plus il devenait difficile de déballer en public certaines archives poussiéreuses rangées au fond de son propre grenier ! On peut enfin supposer que considérant qu’il était arrivé à la fin de sa « mission », à bientôt 80 ans, il ait pris son courage à deux mains pour coucher lui même sur le papier les détails de certaines phases peu glorieuses de sa vie sans attendre qu’on le fasse pour lui post mortem. Il a choisi d’affronter dans une sorte d’ultime combat les détracteurs qui n’auraient pas manqué d’entacher sa mémoire après sa mort sachant que les absents ont toujours tort.

Ceux qui veulent réduire a posteriori les nombreux discours moralisateurs de Grass à un vulgaire prêchi-prêcha se leurrent : la pilule est passée et ne peut être recrachée ! Ceux qui plaident pour sa ‘’célinisation’’ ne pourront invoquer que des arguments stylistiques pour rapprocher les deux écrivains à la truculence verbale : alors que Céline s’est embourbé dans son antisémitisme, Grass a fait de sa vie un combat contre le fascisme !

Oscar, le personnage principal du Tambour, dit : «On peut commencer une histoire par le milieu, puis, d’une démarche hardie, embrouiller le début et la fin. On peut adopter le genre moderne, effacer les époques et les distances et proclamer ensuite, ou laisser proclamer qu’on a résolu enfin le problème espace-temps. On peut aussi déclarer d’emblée que de nos jours il est impossible d’écrire un roman, puis, à son propre insu si j’ose dire, en pondre un bien épais afin de se donner l’air d’être le dernier des romanciers possibles. Je me suis également laissé dire qu’il est bon et décent de postuler d’abord: il n’y a plus de héros de roman parce qu’il n’y a plus d’individualiste. [...] Après tout, ce n’est pas impossible. Mais en ce qui nous concerne, moi Oscar et mon infirmier Bruno, je veux l’affirmer sans ambages : nous sommes tous deux des héros.»… Et Günter Grass reste un très grand Monsieur même descendu de son piédestal.

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